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Diagnostics sociaux et types de réseaux

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Tentative de clarification


Dans la nouvelle configuration de la prévention prévue par le Code, le dispositif s’enrichit de nouvelles instances et de nouveaux niveaux de réflexion et de décision. L’articulation de ces différents moments va donc revêtir une importance toute particulière, et déterminera le degré d’efficacité du dispositif. Nous postulons que cette articulation correspond à des moments de passage d’un type de réseau à un autre, ce passage n’étant pas nécessairement ressenti suffisamment car concernant en partie les mêmes protagonistes. La preuve en est qu’on se contente souvent de parler de « partenariats », de manière globale.

Or, chaque type de réseau a ses logiques propres et ses règles de fonctionnement implicites, et bien les appréhender s’avère important. Les sociologues de l’innovation (Michel Callon et al.) ont bien montré l’importance du réseau dans la promotion des innovations. Une innovation, aussi judicieuse et prometteuse soit-elle, ne percera que si elle est portée par un réseau suffisamment solide pour l’imposer, et non pas seulement grâces à ses qualités intrinsèques. Les actions de prévention sont par définition des actions qui impliquent des innovations. (Voir Outil « Réfléchir à sa posture »). Pour les faire aboutir, des réseaux ad hoc devront pouvoir être mobilisés.

Nous avons élaboré une typologie du travail en réseau au départ d’une analyse des pratiques dans le secteur de l’aide à la jeunesse. Nous y renvoyons donc le lecteur1. Nous nous contentons ici de rappeler le schéma général de la typologie et les grandes caractéristiques des différents réseaux, en tentant de la relier aux futurs dispositifs diagnostiques.

Les réseaux ayant pour centre de gravité les prises en charge :

Réseau de soutien

Typiquement, le travail sans mandat

Réseau singulier tissé autour de chaque bénéficiaire.

Caractéristique sine qua non : l’AMO est activable et désactivable par le bénéficiaire.

Réseau d’aide

Typiquement, les situations multiformes (difficultés/danger), le travail mandaté.

Réseau de professionnels pour fluidifier les prises en charge.

Les réseaux ayant pour centre de gravité la réflexion sur les pratiques et les problématiques :

Réseau de coordination

Réseau formalisé d’acteurs hétérogènes (provenant de divers secteurs), sur un territoire précis, pour réfléchir des problématiques communes

EX. Les Conseils de prévention.

Réseau de synergie

Réseau d’acteurs homogènes (services de même type), pour réfléchir aux pratiques

– sur un territoire large et de manière semi-formalisée (par exemple, AMO de diverses provenances en FWB se réunissant autour d’une thématique)

– ou réseau formalisé d’acteurs homogènes (services de même secteur) sur un territoire précis (le Conseil de concertation intra-sectoriel).

Les réseaux ayant pour centre de gravité l’action/les projets :

Réseau de partenariat

Mise en œuvre concrète d’un projet précis et circonscrit dans le temps

Réseau de connexion

Connexion d’acteurs à intérêts divergents à fédérer autour d’un projet qui traduit les intérêts de chacun. C’est la divergence qui est motrice

Réseau de mobilisation

Constitution d’une force d’interpellation

Dans cet outil, nous nous concentrerons sur les formes de réseaux qui concernent le travail de prévention et sur le rôle qu’y joue le diagnostic social.

1. Diagnostic social et prévention éducative : un soutien du réseau de soutien

Le diagnostic social a pour objectif, en ce qui concerne la prévention éducative, de solidifier ce réseau de soutien sur le territoire de l’AMO. Le diagnostic doit ainsi permettre d’identifier les relais possibles, à activer au cas par cas en fonction des besoins des bénéficiaires. Au-delà de ce listing, dont l’objectif est de ne pas négliger des acteurs éventuellement émergents, il s’agit bien entendu de nourrir un lien structurel avec ces acteurs, de manière à ce que, le moment venu, ils puissent être sollicités en faveur du bénéficiaire. L’AMO doit (re)construire du lien autour de chaque jeune vulnérable, et ces tissages concernent l’entourage du jeune, mais aussi des services dont il pourrait avoir besoin. Aussi s’agit-il, en termes de diagnostic, d’identifier les manques en matière de relais, la faiblesse du réseau nécessitant une interpellation ou une action. Ainsi, par exemple, un manque de transports en commun qui met à mal la scolarité des jeunes, l’accessibilité insuffisante de services PMS ou de santé mentale, etc.

Par ailleurs, les données récoltées dans le cadre de la prise en charge des dossiers individuels doivent être analysées pour mesurer l’ampleur des récurrences qui nécessiteraient une action de prévention sociale.

L’AMO étant le premier bénéficiaire de son diagnostic social, c’est donc à une analyse des forces et des faiblesses du réseau local qu’elle doit se prêter.

2. La circulation des diagnostics sociaux : un agencement entre réseaux de réflexion et réseaux d’action au service de la prévention sociale

Si le diagnostic social a comme premier destinataire l’AMO, une partie des éléments collectés sera à destination du chargé de prévention, comme plaque tournante de la mutualisation des données.

Le Conseil de prévention devient l’organe de réseau de coordination à l’échelle de la division ou de l’arrondissement qui ne comporte pas de division.

Art. 7 du Code

Le conseil de prévention stimule et coordonne la prévention sur le territoire de la division ou de l’arrondissement ou sur le territoire déterminé en vertu de l’article 6, alinéa 2.

Le conseil de prévention a pour missions, à l’échelle de son territoire :

  1. °d’établir un diagnostic social, sur la base du projet du chargé de prévention;
  2. °d’élaborer, sur la base du diagnostic social, une proposition de plan d’actions triennal et d’affectation du budget disponible;
  3. °de favoriser la concertation et la collaboration de l’ensemble des acteurs en matière de prévention;
  4. °d’informer et, le cas échéant, d’interpeller les autorités publiques de tous les niveaux de pouvoir au sujet de toute condition défavorable au développement personnel des jeunes et à leur insertion sociale;
  5. °de dresser tous les trois ans un bilan des actions menées et de procéder à une évaluation de la prévention;
  6. ° de communiquer le diagnostic social et l’évaluation triennale au Gouvernement, au collège de prévention, aux conseils provinciaux, aux conseils communaux et aux conseils de l’action sociale.

Les acteurs vont donc changer de registre en matière de réseau : les AMO vont passer de leur réseau de soutien à un réseau de coordination lorsqu’elle siégeront au Conseil de prévention. La dimension de la réflexion est alors horizontale, tous les acteurs autour de la table auront quelque chose à apporter, et c’est la multiplicité des points de vue qui seront échangés qui permettra d’affûter les idées de projets, les profils de solutions, les possibilités de renforts. Ainsi, des constats analysés conjointement pourront donner naissance à des projets bien réels.

Le diagnostic social singulier de chaque AMO trouvera ici une traduction lui permettant d’éclairer les diagnostics tout aussi singuliers des autres AMO, de les renforcer ou de les nuancer, mais en tout cas de faire progresser la réflexion au niveau de la division ou de l’arrondissement.

Dans cette phase du parcours du diagnostic social, deux intermédiaires sont présents, l’un humain (le chargé), l’autre non humain (le projet de diagnostic social qu’il propose au Conseil, sur base des diagnostics singuliers des AMO). Le chargé a un rôle méta d’intermédiaire, en ce sens qu’il lui incombe de procéder à une analyse permanente des faits sociaux relatifs à la jeunesse sur le territoire de l’arrondissement et de la communiquer au Conseil de prévention (art. 11).

Mais le Conseil de prévention est aussi un organe qui doit se pencher sur le plan d’actions triennal et sur l’affectation du budget.

A partir de là, les AMO entreront dans des réseaux centrés sur l’action, en mettant en œuvre des projets de prévention identifiés dans le plan d’actions et pour lesquels les relations seront plus verticales : il s’agira d’organiser des actions, de les gérer, de rendre des comptes et d’en demander. Des partenariats devront être noués pour mettre en œuvre les actions.

Au niveau des réseaux centrés sur l’action, et plus spécifiquement des réseaux de partenariats, deux organes en favoriseront l’élaboration, en y apportant, notamment, une légitimité symbolique accrue ainsi qu’une mutualisation des pratiques.

  • Le chargé de prévention, au niveau de l’arrondissement, a un rôle de plaque tournante, d’ensemblier, puisqu’il doit veiller à la mise en œuvre des décisions du Conseil de prévention et accompagner la réalisation du plan d’actions triennal (art. 11, 5°).
  • Le Collège de prévention, au niveau de la FWB, est chargé de susciter l’échange et l’harmonisation des bonnes pratiques au sein des divisions et arrondissements en respectant les spécificités de chacun de ceux-ci, notamment par l’élaboration d’outils de prévention communs (art. 13, 2°).

Par ailleurs, les AMO ont également une mission d’interpellation à propos des éléments identifiés par leurs diagnostics sociaux. Il s’agit alors de mettre sur pied des réseaux de mobilisation, chose peu aisée.

Le Code prévoit des dispositifs permettant de donner une chambre d’amplification aux interpellations.

  • Ainsi, le chargé de prévention doit-il organiser la médiation, en cas de nécessité, entre les AMO et les autorités locales (art. 11, 7°).
  • L’évaluation triennale que le Conseil de prévention doit élaborer à destination du Gouvernement, du Collège de prévention, des conseils provinciaux et des conseils de l’action sociale constitue un organe d’interpellation structurelle.
  • Enfin, le Collège de prévention est chargé de coordonner les diagnostics sociaux des divisions et arrondissements et de transmettre le résultat de ses travaux au Gouvernement et au conseil communautaire (art. 13, 1°) ; et d’établir, tous les trois ans, un rapport sur la prévention et des recommandations à l’attention du Gouvernement et du conseil communautaire (art. 13, 3°), rapport que le Gouvernement doit transmettre au parlement.
Des flux renforcés

Cette mise en perspective des dispositifs prévus par le livre 1 du Code montre les circuits de circulation des divers intermédiaires. Notons que si le législateur a déterminé des rôles précis aux différents organes, rôles qui peuvent correspondre globalement à tel ou tel type de travail de réseau, il a choisi aussi des organes dont le rôle est celui d’intermédiaire, et qui pourront donc « voyager » d’un réseau à l’autre.

  • L’intermédiaire non-humain « diagnostic social » naît dans un réseau de soutien propre à chaque AMO, est mutualisé dans un réseau de coordination au niveau du Conseil de prévention, pour d’une part monter en puissance dans un réseau de mobilisation avec le Collège de prévention, et d’autre part pour être traduit en actions concrètes dans des réseaux de partenariats.
  • Intermédiaire humain, le chargé de prévention est la plaque tournante entre le réseau de coordination constitué par le Conseil de prévention et les réseaux d’action, mais il est aussi un adjuvant pour le réseau de soutien singulier de chaque AMO.
  • Quant au Collège de prévention, il est à la fois un réseau de synergie où le partage des pratiques est pensé, un réseau de coordination méta et un réseau de mobilisation.
L’intérêt de distinguer les types de réseaux, le danger de les confondre

Distinguer les différents types de réseaux permet aux acteurs, souvent les mêmes d’ailleurs, de savoir « dans quelle pièce ils jouent » et d’adopter la posture qui convient ; ainsi, dans les réseaux qui ont pour centre de gravité la réflexion, on est clairement dans une logique de partage, où chacun à des éléments à apporter et d’autres à emporter, dans une relation assez horizontale : toutes les expertises, si différentes soient-elles, ont leur légitimité. Dans les réseaux qui ont comme centre de gravité l’action, les logiques de coopération seront différentes, les implications plus intenses, les renforts mutuels nécessaires. Il n’est que de penser à l’importance de travailler ensemble à des interpellations, plutôt que chacun dans son coin. Le groupe Interpel’AMO s’est ainsi structuré (en réseau de mobilisation) pour donner de la force à ses interpellations.

Quant au danger de confondre ces types de réseaux, il réside dans le risque de se vivre en concurrence, mais aussi dans celui de négliger les intermédiaires indispensables pour passer d’un genre à un autre (parce qu’on n’en ressent pas la nécessité). C’est en cela que les flux prévus par le Code trouveront toute leur importance.


1 J. Fastrès, « Pour une typologie du travail en réseau », série d’analyses d’éducation permanente, https://www.intermag.be/91.

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