Le Code lui-même, en son article 1er, 12°, indique que :
« Les services agréés et publics ainsi que l’administration compétente œuvrent à l’amélioration constante de la qualité de la prévention, de l’aide et de la protection apportées aux enfants, aux jeunes et à leur famille, notamment par la participation des bénéficiaires, l’évaluation et l’innovation. »
En matière de prévention, la participation des jeunes et des familles au diagnostic social a évidement plus que de la pertinence ; elle s’avère indispensable pour éclairer certains pans des situations vécues par les familles, et notamment ceux qui restent obscurs aux professionnels.
Nous nous pencherons ici sur des méthodologies participatives dites « dialogiques ».1
Les méthodologies dialogiques sont complémentaires des méthodologies représentatives, qu’elles ne prétendent pas remplacer. Par méthodologies représentatives, on entend un recueil individuel de points de vue ; par méthodologies dialogiques, on entend une construction collective d’analyses dépassant les points de vue individuels.
Les méthodologies dialogiques peuvent se suffire à elles-mêmes dans certains cas ; dans d’autres, elles permettront d’aller plus loin, par exemple lorsque, après avoir réalisé une enquête par questionnaires, certaines réponses récurrentes interpellent ou surprennent les professionnels. Une exploration collective de ces réponses peut alors éclairer les zones d’ombre de la problématique.
Caractéristiques principales des méthodologies dialogiques
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Elles portent sur un objet bien ciblé, identifié comme particulièrement incertain, et nécessitant une exploration pour réduire cette incertitude.
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Cette exploration doit être collective, même si cela ne signifie pas que tout le monde doit être mis en même temps dans la même pièce. L’exploration collective permet d’une part de dépasser les positionnements singuliers voire égoïstes, et d’autre part de mettre en lumière un maximum d’éléments à baliser.
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Elles mettent sur pied d’égalité, dans un processus commun de réflexion, « experts » (professionnels) et « profanes » (bénéficiaires), les dénominations pouvant s’inverser : l’expertise des bénéficiaires est reconnue, les limites de la connaissance des professionnels sont exprimées.
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Elles doivent respecter des conditions et des dispositifs bien précis en fonction de leur objectif et de leur ambition (on ne fait pas cela n’importe comment, en cela ce sont des dispositifs très formels).
Conditions de fonctionnement des méthodologies dialogiques
Les questions à se poser avant
Il faut avoir identifié, même de manière approximative, un objet à analyser. Si le champ d’exploration est trop vaste, la démarche risque de s’enliser.
On l’a dit, c’est l’incertitude qui est motrice dans ce type de démarches, on identifiera donc ce qui produit l’incertitude des professionnels.
Par exemple, dans la phase d’alimentation et d’écoute du diagnostic social, le travail collectif peut porter :
- sur l’évaluation des effets produits par une ou plusieurs des actions du triennat précédent (« Nous avons fait cela, nous n’avons pas suffisamment de données pour savoir si c’était productif, nous avons besoin de vous pour savoir s’il faut continuer, rectifier, etc. ») ;
- ou sur l’exploration d’une problématique émergente (« Il nous semble que tel problème se fait plus fréquent, nous avons besoin de vous pour en savoir plus »). (voir outil « réfléchir à sa posture » *écoute et *consultation).
Par exemple, dans la phase de décision, elle pourra porter sur des modalités de mise en œuvre de l’action les plus en adéquation avec les besoins, etc. Le point de vue est : « En tant que professionnels, nous pensons que…, mais nous butons sur…, c’est pourquoi nous avons besoin de vous pour y voir plus clair. » (voir outil « réfléchir à sa posture » *concertation)
Il faut choisir la méthodologie la plus appropriée à l’objet à explorer, sans que cela ne soit trop énergivore ou chronophage pour les bénéficiaires.
Le respect des procédures
Si les méthodologies dialogiques comportent un aspect « convivial », il ne faut pas pour autant négliger les procédures : ce sont elles en effet qui garantissent l’authenticité de la démarche. Elles sont liées aux différentes méthodologies, mais on peut lister ici celles qui sont communes à toutes.
- Les groupes doivent être animés par une personne extérieure aux enjeux. C’est une condition pour instaurer un climat de confiance et permettre une parole libre. En cela, il est important de ne pas confondre méthodologies dialogiques et groupes de parole : les objectifs en sont très différents.
- Des PV complets et rigoureux doivent être rédigés à chaque séance, approuvés par les participants et communiqués largement, soit publiquement, soit à destination du groupe d’en face selon les méthodologies.
L’animateur neutre et le rapport sont donc des intermédiaires indispensables, l’un humain, l’autre non-humain.
Exemples de méthodologies dialogiques
Focus group
Le focus group est une procédure qui balise quelque chose de bien ciblé ; elle s’indique, par exemple, pour mieux mettre en place une action qui est déjà décidée : « Voilà ce que nous proposons de faire, comment pensez-vous qu’il faille le faire ? », ou encore, pour explorer un objet bien circonscrit : « Nous constatons dans les suivis individuels que beaucoup de familles disent que… ; nous souhaitons mieux comprendre ce que cela représente ».
La procédure est relativement courte dans le temps. On travaille avec des groupes représentatifs d’une question. Des « experts » de cette question, des familiers du problème qui peuvent en parler. Les groupes sont de 10-12 personnes. Il y a 2 ou 3 séances de maximum 3 heures. Un animateur extérieur distribue la parole, gère l’interaction, veille, en fonction des capitaux de chacun, à ce que chacun puisse s’exprimer. Un procès verbal le plus fidèle possible est rédigé.
La thématique est bien ciblée, les personnes savent pourquoi elles sont là. Il ne faut pas essayer d’ouvrir des portes qui ne sont pas possibles à ouvrir.
Le focus group est relativement simple à mettre en place, il est souvent riche, parfois très animé (il faut alors que l’animateur recadre). Il est donc important que quelqu’un anime et qu’il ait le recul suffisant pour être extérieur à la question.
Exemple
Deux AMO se sont associées pour faire une vaste enquête sur leurs territoires respectifs. Des questionnaires ont été administrés à des élèves de 2è et de 5è secondaire dans les écoles de leurs entités. L’objectif était d’interroger les jeunes, de manière très large, sur une série de sujets les concernant, des loisirs à la consommation d’alcool ou de psychotropes, en passant par les TICs, la vie amoureuse, le sentiment de sécurité ou d’insécurité, les relations conflictuelles. Après analyse statistique des réponses, il a été décidé de retourner voir ces jeunes, un an plus tard (ils étaient donc en 3è et en 6è), afin de leur présenter les résultats statistiques et de les laisser les commenter. La méthode du focus group a été choisie, en séparant filles et garçons pour que tous soient à l’aise.
La méthode a permis un recul réflexif intéressant ; il était demandé aux groupes de jeunes de réagir vis-à-vis des résultats d’une enquête à laquelle ils avaient participé au préalable au même titre que plus de 600 pairs. Ce faisant, ces jeunes se retrouvaient simultanément sujets et objets de l’animation. De par cette double position, les jeunes réagissaient en miroir vis-à-vis de la présentation des résultats chiffrés, ayant le pouvoir de confirmer ou d’infirmer ceux-ci, avec un recul temporel, tout en ne se positionnant pas à titre individuel s’ils ne le désiraient pas.
Ensuite, la méthode du focus group permet de se baser sur un contenu minimal – les résultats de l’enquête quantitative dans ce cas-ci, mais cela pourrait être une simple question orale – pour permettre aux jeunes de simplement parler d’eux et de leurs pairs ainsi que des considérations importantes à leurs yeux. Cette manière de procéder, outre le fait qu’elle permet de reconnaître l’expertise des jeunes sur certaines matières les concernant, a l’avantage de paraître moins scolaire, surtout lorsqu’elle est utilisée avec des publics dits « captifs », ce qui est le cas dans les groupes classes. Ceci favorise une certaine spontanéité et une participation non contrainte.
Enfin, la manière de parcourir les différentes rubriques de l’enquête permettait à chaque partie d’y trouver son compte : les animateurs se contentaient de présenter les résultats statistiques relatifs à chaque thématique sans les commenter (« Il a été dit que… »), et laissaient l’occasion aux jeunes de s’exprimer sur chacune d’elles, s’ils le souhaitaient, sans s’appesantir sur celles qui ne leur paraissaient pas significatives. Les adultes n’ont ainsi pas induit une hiérarchie entre les thématiques ou entre les questions, tout en trouvant réponses aux questions qu’ils se posaient en temps qu’adultes à la lecture de certains chiffres qui les avaient interpellés.
Focus groups croisés
Le focus group simple est un moment de consultation des bénéficiaires sur une question qui nécessite leur expertise pour être mieux appréhendée par les professionnels ; ce moment se clôt après la rencontre. Mais il est possible d’aller plus loin dans la démarche en croisant les avis des deux groupes, celui des professionnels et celui des bénéficiaires, par des focus groups progressifs et croisés.
Les focus groups croisés sont intéressants également lorsque plusieurs services décident de travailler ensemble sur la même question ; un groupe de professionnels mixte est ainsi constitué, et un groupe de bénéficiaires des différents services (ne se connaissant donc pas) est constitué par ailleurs. Le croisement des points de vue devient d’autant plus riche.
L’avantage de la méthode du croisement, c’est que les deux groupes (professionnels et bénéficiaires) ne se croisent pas physiquement, ce qui permet d’éviter trois écueils, décrits ici dans une gradation de difficultés :
- des biais dans le recueil de la parole : des bénéficiaires satisfaits du travail des professionnels pourraient « blanchir le tableau » pour faire plaisir, et les insatisfaits éviteraient de s’engager dans la démarche par manque de confiance, peur de représailles, etc ;
- une violence institutionnelle (Jean-Pierre le Goff parlerait de « barbarie douce ») par le différentiel parfois important des capitaux (économiques, culturels, sociaux, symboliques) entre les deux groupes, qui mettrait de facto le groupe de professionnels en position dominante, produisant une censure subtile ;
- une confrontation conflictuelle, s’il s’agit de sujets délicats, et un repli sur soi de chacune des parties ; soit, donc, un échec de la démarche.
Pratiquement, le focus group croisé se présente comme suit, en plusieurs séquences (comportant chacune plusieurs séances de travail) :
- séquence focus group pros : travail entre professionnels pour déterminer le périmètre à explorer ; listing des questionnements, (PV rédigé, approuvé, envoyé au groupe bénéficiaires) ;
- séquence focus group bénéficiaires : premier tour avec les bénéficiaires ; recueil de l’avis, (PV à transmettre au groupe de pros) ;
- séquence focus group pros : réactions au travail des bénéficiaires, précisions, propositions, (PV à transmettre aux bénéficiaires) ;
- séquence focus group bénéficiaires : nouvelles réactions, nouvelles précisions, (PV).
Exemple
Une AMO constate, dans ses interventions individuelles, que des familles pauvres se plaignent d’être, dans leurs contacts avec des services sociaux divers, aide à la jeunesse comprise, très mal accueillies, et même « mises sous le tapis ». L’AMO décide d’initier une action communautaire sur la question. Après avoir réuni divers services et examiné la question du point de vue des professionnels, on arrive à bout d’idées. Il est décidé de consulter des bénéficiaires afin de « creuser » leurs doléances. Plusieurs services se font intermédiaires pour trouver des familles qui ont des choses à dire sur la question. Puis ces services se retirent, laissant la main à l’AMO, qui contacte les gens. Une douzaine de familles répondent à l’appel. Un focus group est donc organisé. Il se réunit trois fois, produit des recommandations écrites.
Il est alors décidé d’organiser des focus groups croisés, professionnels d’une part, bénéficiaires de l’autre, afin d’éviter une confrontation directe. Après plusieurs tours où chaque groupe se répond, se toise à l’occasion, voire se défie, à la limite de la rupture, un chantier commun possible se fait jour, autour de la question de la communication. Les familles souhaitent réaliser une brochure « à leur sauce », sans intervention de professionnels de la communication. Une représentante des familles fait le lien entre les deux groupes, et après un long travail de va-et vient, une brochure est conçue, selon les desiderata des familles. Correspondant à un réel besoin, elle a été plus d’une fois copiée dans d’autres arrondissements.
Exemple
Après des incidents entre chauffeurs de bus et jeunes (caillassages répétés, altercations), une action de prévention générale est menée. Elle comporte plusieurs volets. L’un des volets, porté par une AMO, consiste à tenter de travailler sur les représentations négatives croisées des deux groupes en confrontation : jeunes et chauffeurs du TEC.
Une première investigation est menée via un questionnaire construit sur le même schéma pour les jeunes et les chauffeurs. Le principe de base est qu’il ne faut pas traiter un groupe différemment de l’autre. Les questions portent sur la convivialité dans les bus du TEC et la manière dont peuvent être vécues/perçues une série d’éléments qui s’y déroulent.
Après traitement des questionnaires, il est décidé d’en présenter les résultats (fort instructifs) à l’un et l’autre groupe et de faire circuler les commentaires de chaque groupe auprès de l’autre. Des focus groups croisés sont donc organisés. Un dernier focus group commun est organisé. L’ombudsman des TEC a joué un rôle d’intermédiaire très utile dans la démarche, qui se voulait un premier pas pour tenter de trouer un terrain d’entente entre les deux groupes.
Conférence citoyenne
Elle est plutôt orientée vers les questions plus larges (mais ne s’y limite pas). Sa caractéristique est qu’elle met en vis-à-vis des « experts » et des « profanes ». On est ici soit dans la consultation, soit dans la concertation (voir outil « réfléchir à sa posture »).
La conférence citoyenne est plus lourde à organiser qu’un focus group, mais elle a des visées plus larges également. Elle se justifie pour des questions d’évaluation d’une politique par exemple.
Des personnes significatives sur la question à traiter sont « recrutées », deux panels les plus représentatifs possibles sont constitués ; un panel « d’experts », un panel de « profanes ».
Il y a 4 étapes de ½ jour minimum par étape, un délai de préparation plus long, des PV à rédiger, etc.
Les 4 étapes doivent impérativement être respectées.
- Séance plénière. Les « profanes » doivent être informés de la problématique. Une séance d’information a lieu pour que les profanes sachent ce qu’on attend d’eux. Les experts exposent donc les données du problème à explorer.
- Les profanes se réunissent sans les experts, pour poser les questions supplémentaires, ce qui paraît encore flou, ou les questions qu’ils appréhendent en fonction de leur vécu. Il y a un animateur extérieur et un PV est rédigé pour synthétiser les questions dont il faut vérifier que la reformulation est correcte.
- Après un délai de plusieurs jours pour prendre connaissance des questions, une nouvelle séance plénière est organisée ; les experts répondent aux questions et en débattent avec les profanes.
- Les profanes se réunissent, sans les experts encore une fois, pour faire des recommandations : « Sachant qu’on nous a dit ceci, que la question a été éclairée de telle façon, nous pensons ceci. ».
Les recommandations doivent être médiatisées, diffusées, transparentes.
Exemple
En 2006, dans le cadre de l’évaluation du Décret organisée par la ministre Catherine Fonck, une conférence citoyenne a été organisée à Namur lors des Carrefours de l’aide à la jeunesse pour recueillir le point de vue des bénéficiaires sur l’aide négociée : « Familles et jeunes partenaires : quelles modalités, quelles conditions ? » L’objectif n’était pas de balayer l’ensemble des difficultés qui se posaient dans le secteur de l’aide à la jeunesse, mais de parvenir à s’entendre sur quelques recommandations apparaissant comme prioritaires en ce qui concernait l’aide négociée. http://www.oejaj.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=dc9390fd4591883a2ef396661acbab9ded4f4df2&file=fileadmin/sites/oejaj/upload/oejaj_super_editor/oejaj_editor/pdf/LR_CFC94361.pdf
1 Voir M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthes, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, la couleur des idées, 2001. Le courant de la sociologie de l’innovation que ces auteurs représentent a analysé l’importance de ces méthodologies pour permettre l’émergence d’innovations et soutenir la démocratie.