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Le diagnostic territorial partagé

La réalisation d’un diagnostic social est une obligation pour les AMO depuis de nombreuses années, et les services ont une liberté méthodologique importante pour répondre à cette exigence. Nous proposons donc ici des repères pour mener à bien ce travail sur le mode du « diagnostic territorial partagé », en nous appuyant notamment sur l’expérimentation que nous avons pu en faire avec l’AMO de NOH à Bruxelles, qui a débouché sur la réalisation d’un Webdocumentaire.

Qu’est-ce qu’un diagnostic territorial partagé ?

  • une analyse fine d’une question de recherche qui intéresse l’AMO dans son travail quotidien et les projets menés avec ses bénéficiaires ;
  • qui porte sur l’occupation du territoire et de l’espace public ;
  • et qui implique, dans toutes les phases de l’enquête, le(s) public(s) concerné(s).

L’objectif de cette démarche est de prendre le temps d’apprendre, de développer des outils et d’explorer de nouveaux lieux, pour ne pas mélanger les phases de travail distinctes que sont la réflexion et l’action, et mener ensuite les actions les plus pertinentes possibles.

Ce travail nécessite les étapes et questionnements suivants :

1) Avant toute chose, il est indispensable de s’interroger sur les données en jeu et les problématiques à traiter :

Que sait-on déjà ? Que veut-on apprendre ? A propos de quoi, de qui ?

Ce travail est-il effectué dans le cadre du diagnostic social triennal ; pour lancer un projet de quartier ; parce que le service déménage et voit sa zone d’intervention modifiée… ?

Le diagnostic porte-t-il sur un quartier, un public ou une thématique spécifique ?

2) Une fois que la visée et le cadre du diagnostic sont définis, un dispositif d’enquête peut être mis en place. Ceci demande de s’attarder sur deux points au moins.

a) Support : que cherche-t-on à savoir ? (Le support doit être en adéquation avec la question posée) Pourquoi veut-on savoir cela ? Que comptons-nous en faire ? De quels moyens (humains, logistiques, financiers) disposons-nous ?

b) Usage du support : Quel usage pour quel outil ? Comment les combiner ?

3) Vient alors la phase de réalisation de l’enquête à proprement parler.

a) Pour réaliser un diagnostic territorial partagé, il existe une très grande variété d’outils qui peuvent être mobilisés. Avec l’AMO de NOH, notre objectif était en l’occurrence que cet outil puisse servir au diagnostic social à proprement parler, et être à la fois un outil d’animation. La carte du quartier (sur laquelle les jeunes peuvent indiquer leurs trajets fréquents ainsi que les lieux qu’ils aiment et qu’ils n’aiment pas) déjà conçue et utilisée par l’AMO de NOH depuis quelques temps, répondait à ce critère puisqu’elle peut être complétée en 5 minutes dans un moment de creux pendant une activité, ou bien être le point de départ d’un entretien d’une heure en bonne et due forme avec un jeune ou un groupe de jeunes dont on veut comprendre très finement la perception du quartier et les habitudes en termes d’occupation de l’espace public.
La première étape a donc été de faire remplir cette carte par des jeunes qui fréquentent l’AMO ou sa zone d’intervention, pour repérer des trajets typiques, des lieux particulièrement fréquentés ou désertés, les lieux d’habitation du public de l’AMO
Quand cela est possible, il est intéressant de mener une discussion avec les répondants sur certaines problématiques traitées dans le cadre du diagnostic, en lien avec la carte à remplir (pourquoi tel ou tel lieu est marqué en vert ou en rouge, quel sentiment est ressenti en se déplaçant à tel endroit ou à tel moment…)

b) Une fois qu’un nombre suffisant de cartes a été rempli, il faut bien sûr les analyser à l’aune des questions qui sous-tendent le diagnostic. Par exemple, dans le cas de l’AMO de NOH, une attention particulière a été donnée à observer s’il existait ou non une différence dans les déplacements et l’occupation de l’espace public par les filles et les garçons.

c) A la suite de l’analyse des cartes, et afin d’enrichir le matériel récolté et les réflexions menées jusque-là, des témoignages de jeunes (en présence de quartier, ou lors de rencontres prévues à cet effet) peuvent être recueillis pour comprendre les mécanismes qui expliquent l’occupation du territoire qui a été observée grâce aux cartes remplies à l’étape 3a. Cela permet de s’attarder sur le quartier le plus ou le moins fréquenté par les jeunes, ou bien sur une particularité des trajets qu’ils effectuent, etc. Ces témoignages seront a priori d’autant plus riches qu’ils seront menés sur les lieux mêmes dont on parle ; il peut donc être pertinent de mener ces discussions en se baladant en rue avec les jeunes (que ce soit pour faire leurs trajets quotidiens, ou au contraire pour les amener dans des lieux qu’ils n’ont pas l’habitude de fréquenter), pour mieux appréhender concrètement leur discours sur le quartier étudié.

d) Un support photo, vidéo ou audio peut utilement être mobilisé pour illustrer les thématiques abordées et les discours suscités, ainsi que pour capter une ambiance de quartier. La vidéo/photo/sono est ici un moyen de recueillir la parole du public. En effet, ces médias sont appréciés par les jeunes, et permettent de leur assurer qu’ils auront un retour concret et des traces pérennes de l’enquête à laquelle ils ont participé. L’objectif n’est donc pas une publicité ou un jugement sur les activités de l’AMO ou de ses travailleurs, mais bien une manière originale, pertinente et motivante pour chacun de présenter les résultats de la recherche collaborative menée par l’AMO avec son public (potentiel). Les questions de droit à l’image que cela pose et les modalités pratiques de cette étape du travail sont bien sûr à prendre en compte de manière extrêmement scrupuleuse à cette étape cruciale de la démarche.

e) Pour pouvoir faire un compte rendu du diagnostic territorial le plus attrayant et interactif possible, et parce que cela est un excellent outil pour intéresser et motiver les jeunes, nous avons décidé de réaliser avec l’AMO de NOH un webdocumentaire. Sur une carte du quartier, le lecteur peut se déplacer à sa guise et sur différents points d’intérêt, cliquer pour avoir accès à du contenu audiovisuel. Nous avons combiné ici des capsules sonores et des photos. Ce choix (qui bien sûr n’est pas le seul ou le meilleur in abstracto) s’est imposé à nous pour les raisons suivantes : la vidéo est plus difficile à faire oublier des participants, et les réglementations du droit à l’image qui empêcheraient de montrer les visages peuvent induire des préjugés négatifs et un ressenti différent du message qui est transmis.

A partir de la manière dont les jeunes auront rempli la carte de leur quartier en indiquant les lieux qu’ils fréquentent et les trajets qu’ils font, et sur base des entretiens menés ensuite, illustrés par les supports audio-visuels, de nombreuses questions trouvent réponse : Où va-t-on ? Où ne va-t-on pas ? Pourquoi ? Comment ? A quelle fréquence ? À quelle heure ? Avec qui ? Habillé.e comment ? Dans quel état d’esprit ? Que fait-on à quel endroit ? Que signifie passer du temps en rue, plutôt que dans une habitation privée ou dans un lieu dédié à une certaine activité (école, salle de sport, commerces…) ?

L’intérêt du webdocumentaire est donc de présenter sous une forme concrète (et ludique, pouvant être appréciée par les jeunes eux-mêmes) les enseignements de l’enquête qui a été réalisée. Ce document a tout à gagner à regrouper des textes, des photos, des extraits sonores et tout autre média pertinent pour alimenter les réflexions qui ont nourri le diagnostic (par exemple, une mind-map des trajets récurrents indiqués par les jeunes sur la carte du quartier.)

Dans le cas de l’AMO de NOH, le diagnostic territorial a notamment permis de mettre en évidence des enjeux importants en termes de genre dans l’occupation de l’espace public, de pointer des problèmes récurrents en matière de mobilité et de nuancer les constats opérés jusque-là par le service sur les représentations négatives croisées entre les deux cités sociales de la commune.

4) Usage et perspectives pour la suite

Après la réalisation du webdocumentaire, plusieurs manières de donner suite à ce diagnostic peuvent être envisagées, qui répondent aux objectifs que vise tout diagnostic social réalisé par une AMO :

  • présentation publique du webdocumentaire et débat avec les jeunes du quartier et les responsables politiques (commune, plan de cohésion sociale (PCS)…) ;
  • interpellation des pouvoirs communaux ;
  • rencontre avec le comité de quartier, le PCS… pour déterminer si des partenariats sont envisageables selon les projets que le diagnostic permettra d’imaginer ;
  • etc.

Cette présentation du diagnostic territorial partagé met en évidence que le travail de rue peut être un outil à part entière pour les AMO (accroche avec les personnes, disponibilité, accompagnement individuel) mais peut également servir à étoffer un diagnostic social (interviews, observations, pistes d’action).

Cette méthodologie est donc riche, et peut être utilisée dans tous les environnements (moyennant une adaptation à la surface et aux réalités du territoire étudié).


POUR EN SAVOIR PLUS

*E. de Boevé et M. Giraldi, Guide international sur la méthodologie du travail de rue, Paris, L’Harmattan, 2010.

*Ede Boevé et PToussaint, La place de l’action collective dans le travail social de rue, Paris, L’harmattan, 2013.

*APSN, « Diagnostic de territoire : des ressources pour les acteurs de terrain », 2016, www.diagnostic-territoire.org 

*S. Lardon et V. Piveteau, « Méthodologie de diagnostic pour le projet de territoire : une approche par les modèles spatiaux », 2005, https://journals.openedition.org/geocarrefour/980

*CNSA, « Guide méthodologique pour construire un diagnostic territorial partagé », 2016, https://www.cnsa.fr/documentation/cnsa_-_dtp_version_definitive_validee.pdf

*« Le diagnostic Partagé, un outil au service du projet Territorial enfance jeunesse », Pratiques en santé, 2017, https://www.pratiquesensante.org/94

*« Diagnostic partagé du territoire sur le terrain », Institut d’éco-pédagogie, 2011, http://institut-eco-pedagogie.be/spip/spip.php?article341
Published inInspirationMethodologies